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Représentation de la nature par le prisme d’une crise familiale dans Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978)

A propos :

Nous allons parcourir les notions de paysage dans le film Sonate d’automne d’Ingmar Bergman, sorti en 1978.  Ingmar Bergman est un réalisateur, metteur en scène et scénariste Suédois, ces films vont être influencé par la culture Suédoise et Scandinave et ainsi par la nature, son environnement et sa culture. Dans l’art Scandinave, on cherche à libérer le regard de ce que l’on voit déjà, de le reconstruire, le paysage est ce lieu dans lequel on ne vit pas, d’extérieur à nous, que nous créons par notre vision. L’environnement naturel est toujours anthropisé c’est-à-dire modifier ou transformer par l’homme, repensé par notre nature humaine, la nature n’existerait qu’à travers un point de vue qui nous est propre, le paysage comme artefact, Oscar Wilde se pose la question de qu’est-ce que la nature, « Elle n’est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création. C’est dans notre cerveau qu’elle s’éveille à la vie. Les choses sont parce que nous les voyons et ce que nous voyons et comment nous les regardons dépend des arts qui nous ont influencés. » Ici, le cinéaste va créer de nouveaux paysages, le paysage est une question de champ, nous pouvons alors le mettre en corrélation avec le cinéma, de la composition de l’image, au cadre et au thème qu’il aborde. Il devient une fonction imageante, de représentation, dans ce film, un paysage se construit, celui d’une relation familiale dans un milieu précis.

Effectivement, la quasi-totalité du film se déroule dans un huis-clos, la maison, qui va apparaître comme un espace claustrophobe, reflet de la saison dans laquelle se déroule le récit, va nous permettre de suivre une crise familiale entre une mère et sa fille. On retrouve dans ce film les obsessions du réalisateur, des contraintes des conventions sociales, au liens familiaux empoisonnés, en passant par la souffrance de l’être.  On perçoit un lien fort entre la représentation de la nature et celle de la représentation de la nature humaine, toujours en proie à ces angoisses. Nous allons étudier comment la nature est représentée par le prisme de l’humain dans le film Sonate d’automne.

Premièrement, nous allons voir comment l’environnement naturel se reflète à travers la maison, qui créera ainsi une nouvelle nature à la maison, celle de l’angoisse, reflet des relations humaines dans la demeure. Nous pouvons penser à l’idée de la cabane qui nous évoque un endroit chaleureux, une chaumière, un abri contre les changements climatiques, qui est très présent dans la culture Scandinave. Elle est la création directe de l’homme, et n’a en elle rien de naturel, elle s’impose dans un environnement déjà existant, et va par cela être à l’image de celui qui la fabrique ou qui y vit. Le film aborde le thème de la religion, le mari d’Eva étant prêtre, on peut alors penser que l’humain comme le dit Eva durant une scène, est à l’image de dieu. Dans ce film, ce lieu ne représente en rien la sérénité ou un refuge, au contraire elle serait la représentation même de l’angoisse, où conflits et souvenirs douloureux vont resurgir, donc à l’image de ceux qui s’y trouvent. Ingmar Bergman nous plonge dans cette vision, nous pouvons dès ici démarquer le sentiment de peur et celui de l’angoisse qui sont deux sentiments distincts, ils n’ont rien en commun dans la façon de les vivre mais aussi de les représenter au cinéma. Selon Søren Kierkegaard, qui a écrit Le Concept d’Angoisse, l’angoisse serait la représentation de tous les possibles de notre liberté, elle serait alors dépourvu « d’objet » en elle-même, contrairement à la peur, qui est composé uniquement d’objet face auquel l’individu éprouve ce sentiment de peur. L’angoisse dès lors, ne peut pas se « fabriquer », ne peut pas directement se montrer puisqu’elle se situe dans notre intérieur, la liberté ne peut être figuré. C’est en cela que Bergman va utiliser l’intérieur de la maison comme représentation de ce concept. Ainsi, nous ne pourrons reprendre notre souffle qu’à partir du moment où Eva et Charlotte pourront enfin quitter cet endroit, où la communication était dès lors impossible.

Dans son autobiographie, Laterna Magica, Bergman raconte des éléments similaires avec sa famille, « Notre relative liberté découlait entièrement de l’énorme fardeau qui écrasait nos parents, mais c’était une liberté empoisonnée, car il régnait une atmosphère sans cesse tendue et les liens étaient indénouable. Ce qui, vu de l’extérieur était l’irréprochable image d’une bonne entente familiale était à l’intérieur misère et conflits déchirants ». Effectivement, on remarque dès le début du film que la maison semble nous montrer quelque chose sur l’intériorité des personnages, le fardeau, mais aussi sur ce qui leur est extérieur, qui nous est impossible à voir.  Lorsque Eva écrit à sa mère au début du film, elle est enfermée entre quatre murs, derrières elles se trouvent des fenêtres aux rideaux tirés et nous allons retrouver cela dans la quasi-totalité du film. Le paysage nous sera accessible à seulement deux reprises : la première fois lorsque la mère va arriver, avec des plans de nature (lacs, plaines, paysages typiquement Suédois). Pour Eva, l’extérieur sera visible à travers une fenêtre qui va nous laisser apercevoir sa mère Charlotte sortir de la voiture ce qui va nous permettre en tant que spectateur de relier le titre à la saison du film, l’automne. Dès le moment où la mère pénètre dans la maison, un problème surgit : l’extérieur devient imperceptible, la vue des personnages qui se trouve dans ce presbytère et du spectateur est obstruée par sa présence. En effet, à plusieurs reprises cette phrase est dite par Charlotte « Quelle belle vue », lorsqu’elle regarde à travers la fenêtre, or nous ne voyons jamais ce qui se trouve de l’autre côté de celles-ci, nous en sommes totalement privés.

Elles sont représentées de telle sorte qu’il nous soit impossible de voir ce qu’il se produit de l’autre côté, elles sont toujours comme « à contre-jour », une lumière blanche les traverses, sorte de frein à la vue. Il n’y a aucune échappatoire à ce décor. Cela peut alors signifier la nature qu’a l’homme à nier ses problèmes, à obscurcir et enfouir au plus profond de lui ces angoisses, par peur de prendre des choix.

Ici, le travail du peintre Vilhelm Hammershøi est évoqué, on retrouve chez Hammershoi cette idée d’intérieur silencieux, ces peintures montre un vide, une tendance à l’impersonnalité, une forme de silence dû au fait que les pièces y sont froides, où les personnes quand il y en a, ne semble absolument pas communiquer. On retrouve la fenêtre close, les rideaux tirés avec cette blancheur qui la traverse.  Elles représentent des scènes quotidiennes où il n’y a pas « d’action » à comprendre ou voir. On peut reporter toutes ces figures au travail d’Ingmar Bergman, qui lui aussi va prendre des prises de vues d’intérieurs afin de montrer une réalité quotidienne entre une mère et une fille en plein conflit, avec une vision et une atmosphère inquiétante grâce à cet intérieur vide même si rempli de dialogue qui ne produisent aucune communication qui est impossible entre elles, on retrouve l’idée de « pièce tableau » ou plutôt de « plan tableau ». Ces pièces vont devenir des espaces intimes, où des révélations horribles et douloureuses vont apparaître au fur et à mesure du film. Le sur- cadrage qu’utilise Bergman avec les portes vont isoler les pièces les unes des autres. De même lors des flash-backs où elles vont être nombreuses et toujours ouvertes, mais jamais vers l’extérieur, uniquement vers une autre pièce. Telle une sorte de labyrinthe infaisable, tout comme les relations entre les personnages qui se trouvent à l’intérieur. Le film joue sur un temps qui s’écoule lentement, nos angoisses adviennent de ce temps qui s’écoule et que nous ne pouvons pleinement maîtriser car nous risquons à chaque instant de perdre quelque chose, tout comme la nature. Ce dispositif va créer un enfermement des protagonistes dans un huis clos claustrophobe, cette maison tout au long du film va se transformer en une forme de paysage à lui tout seul, de plus en plus inquiétant et oppressant.

Il va également utiliser une forme, le visage humain, qui n’est pas un objet en soi, tout comme le paysage, pour montrer ce sentiment, il va montrer l’intériorité des personnages en reflétant leurs émotions. Nous pouvons citer Jacques Aumont, qui écrit à propos d’Ingmar Bergman que « le visage est une scène », on peut parler de « visage paysage », ou comme Bergman l’appelle lui-même « la dramaturgie du visage » puisqu’ils sont le miroir d’un monde qui est celui du personnage. Le corps occupe l’espace, Bergman s’inspire du théâtre pour recréer cette prestance de l’acteur mais le gros plan marque ce que le théâtre ne possédera jamais. Pour Epstein le gros plan est une « révélation de quelque chose », l’âme même du cinéma, le visage est sublimé en paysage, prenant toute la place de l’écran cinématographique. L’expressivité va inventer une nouvelle forme d’émotion chez le spectateur.

En tous ces points, Bergman s’empare de l’espace pour créer un huis-clos où le spectateur ne pourra jamais voir ce qu’il se passe à l’extérieur lorsque les personnages se trouvent à l’intérieur, alors qu’eux en ont la possibilité. Puisque nous ne sommes pas à l’intérieur même des paysages internes des personnages, nous ne pouvons atteindre exactement ce qui est mis en péril, la claustration va rendre ces personnes en des sortes de fantômes du passé. 

Dans cette seconde partie nous allons nous attarder sur la question des démons intérieurs, ceux qui sont enfouis au fond de nous. Les films de Bergman tournent autour de la complexité de l’âme humain, l’au-delà a une place très importante, accompagnée de ces fantômes du passé. Il représente les démons personnels, ceux qui nous hantent et qui refont surface. Telle l’âme humaine, la nature se modifie perpétuellement, c’est en cela qu’elles sont indéfinissables.  Le film débute sur la question de la mort avec Léonard, le défunt époux de Charlotte, ce pour quoi elle va rendre visite à sa fille. La mort va être abordée de nombreuses fois durant le récit, entre autres dans les moments de grandes révélations d’Eva, qui a dû subir le deuil de son fils noyé, mais aussi la révélation de son avortement forcé par sa mère au moment fatidique du film. Plus tôt dans le film, Eva se confesse sur son fils, Erik, lorsqu’elles se trouvent dans la chambre de celui-ci, seul lieu où elle dit se sentir bien, elle parle de l’au-delà, d’un monde où elle peut retrouver son fils sans frontière, où les émotions seraient pleinement libérées, contrairement à ce moment du film où la relation entre mère et fille est encore dans la retenue.  En plusieurs points, le film peut nous faire penser à la pièce Petit Eyolf d’Henrik Ibsen, premièrement avec la mort similaire de l’enfant, mais aussi avec la mère d’Eyolf, qui voyait son fils comme un obstacle, tout comme Charlotte et sa fille pour sa carrière de pianiste. Il y a des similitudes dans ce drame familial, où dans la pièce comme dans le film, des grands moments d’accusations et de confessions vont exploser intensément durant de longues minutes ou pages. En cela, Bergman nous tisse une vision terrible et angoissante de la mort, les démons, les êtres disparus des personnages vont ressurgir du passé pour les amener à se confronter, amenant des nouvelles facettes des personnages après ce long dialogue, Charlotte fragile et Eva cruel et plus si innocente.

Ces paysages / milieux n’existent qu’à travers le décor de la maison, comme on le remarque avec les fleurs, une nature morte emprisonné dans la maison. Ainsi que sur les tableaux, elles aussi entre quatre dorures, le paysage à l’intérieur même de la demeure. Cela va basculer lors du départ brutal de Charlotte. La nature va réapparaître au moment où Charlotte est dans le train ; Autour d’elle, le paysage défile et l’emprisonne une nouvelle fois grâce à une fenêtre, comme une peinture mouvante à travers un sur cadrage. Lorsque Eva sort enfin de chez elle c’est pour aller dans un cimetière, ces voix intérieures vont nous être finalement audible, elle s’adresse à son fils décédé. Un lac se trouve derrière elle, des tombes au premier plan avec écrit sur l’une d’elle le prénom de son fils, on sait que son fils est mort noyé, nous avons directement cette image face à ce tableau. Les tons y sont froids, elle songe à la mort et au suicide, dans ses pensées la maison est encore une fois une représentation d’angoisse et de tâches familiales. Eva parle de l’arrivée de l’hiver, période rude qui va se refléter dans ces paroles et dans le paysage assombri.

La structure du film va être transformée, pour la première fois nous sommes avec le personnage d’Eva à l’extérieur, nous allons avoir accès à une vision de la maison vu de l’extérieur, vue de face, on retrouve ce motif de fenêtres fermées cette fois-ci à l’extérieur quand il fait sombre et que à l’intérieur (quand) la lumière jaillit. On voit que le paysage et la nature ne peuvent exister en dehors des états-d’âmes des protagonistes. Comme à la fin de la pièce de théâtre Sonate des Spectres de August Strindberg, déjà adapté par Bergman, nous retrouvons le changement intérieur profond du personnage central, qui va être caractérisé par l’effacement de l’intérieur de la maison au profit de nouveaux espaces, celui du cimetière, de la nature, de la maison vue de l’extérieur, qui vont être en harmonie avec son désir de mort et de spiritualité. La nature, hors de la cabane, de la création de l’homme, pourrait alors sembler être une solution au désespoir d’Eva, ou au contraire une invitation à l’anxiété.

Quant à Helena sœur handicapé d’Eva, elle est interdite à cette réalisation par la nature. Elle représente un questionnement autour de l’angoisse car elle ne possède aucun espace, elle est prisonnière sur son fauteuil roulant, elle n’a pas le choix de sa liberté, elle en est condamnée. Pourtant, elle va faire des choix et va à l’encontre de ce que son corps lui dit, ce qui va la conduire à faire des crises. Effectivement, à la fin dès que la caméra retourne dans ce presbytère, la crise revient avec le personnage d’Helena qui ne peut plus s’exprimer alors que l’atmosphère ingérable semblait être calmée. Dans la séquence finale, par un gros plan sur son visage, nous retrouvons une claustrophobie.  Ce qu’elle peut voire est inexistant, seul son expression nous indique son sentiment. Un tableau de Edvard Munch, The Sick Child de 1907, m’a fait penser à cette même idée : les objets de la pièce sont présents pour donner un sentiment d’enfermement, tout est réuni et en abondance. Munch nous montre sa sœur malade. On y voit une jeune femme, malade, avec un flacon de médicament. Avec elle se trouve une femme, l’espace entre elles est restreint car une couverture recouvre la moitié du corps de la fille.

Il nous est impossible d’observer l’extérieur car un rideau est tiré devant la fenêtre. Il y a donc une impossibilité à voir l’extérieur de soi, confronté à n’être qu’avec soi-même.

Nous retrouvons également dans la chambre d’Helena plusieurs objets qui rendent l’espace étriqué, sans possibilité de mouvements.  Aussi, le fait que le personnage à côté d’elle ne peut même pas la regarder peut nous rappeler la place de sa mère, qui ne la reconnait pas réellement comme sa « fille » ou bien la place d’Eva qui est impuissante face à la maladie de sa sœur. Durant le film nous apprenons que l’aggravation du handicap aurait pu être dû à sa mère, effectivement dès que celle-ci revient ou repart nous avons l’impression que la maladie s’empire. De plus que Charlotte se questionne sur la mort d’Helena qui serait selon elle une meilleure solution que la vie comme elle le dit dans le train. Elle ne peut la regarder pour ce qu’elle est au fond d’elle. L’Homme subit le désespoir, comme on le voit chez Helena comme un poids de notre condition, la complexité de l’homme est d’être soi-même dans ses propres choix et dans ces possibilités multiples.   Comme nous l’avons vue, la nature de l’homme se définit par son environnement et par les paysages qu’ils ancrent au fond de lui, de ces souvenirs à ses angoisses. L’Homme ne peut échapper à sa propre nature.

Pour conclure :

Dans ce film, l’environnement naturel est représenté de façon non mimétique figuré d’une nouvelle façon dans l’intérieur de la cabane. Le contraste de l’extérieur et l’intérieur se fait par les personnages, tout est question de relation dans ce film. La relation des personnages entre eux, celle avec la nature où certains personnages vont pouvoir y accéder, avec leur propre affrontement intérieur, avec leurs angoisses et avec le passé. L’intériorité de la maison, comme des personnages est filmé comme un paysage. La nature serait alors dans ce film une pure création de l’Homme, car elle ne peut vivre que lorsque celui-ci la regarde, que lorsque nous prenons en compte les paysages qui nous entoure, aussi bien ceux qui se situent à l’intérieur de nous-mêmes, que nous créons dans notre esprit, que ceux qui nous semblent à l’extérieur de nous-mêmes, de l’espace qui nous entoure. C’est comment nous voyons les paysages qui définissent la personne que nous sommes, c’est en cela que la nature va varier selon chacun, n’ayant pas le même impact sur nous. C’est notre influence qui va créer ce que nous voyons, puisque nous sommes dans une angoisse ce qui se trouve face à nous va devenir pleinement une source.

Bibliographie :

–             Miettes philosophiques – Le Concept de l’angoisse – Traité du désespoir, Søren Kierkegaard, (Français) Poche (Parution 1-06-1990)

–             Laterna magica, Ingmar Bergman, 1987 ; Collection Folio (n° 2238), Gallimard (Parution : 13-03-1991)

–             Ingmar Bergman, Jacques Aumont, 2003, Cahiers du cinéma

–             Court traité du paysage, Alain Roger, Collection Bibliothèque des Sciences humaines, Gallimard (Parution : 05-09-1997)

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