Catégories
Non classé

Le cinéma d’animation comme mise en scène du pouvoir et de la surveillance – Etude de Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert (1980)

A propos :

Nous allons ici nous intéresser au thème de la surveillance et sa représentation dans le cinéma d’animation grâce au film Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert, adaptation d’un comte de Hans Andersen. Ce film sorti tout d’abord en 1953 sous le nom de La bergère et le Ramoneur, puis en 1980 sous le nom de Le Roi et l’oiseau. Ce projet fut construit sur le long terme, en effet les deux réalisateurs ont longuement élaboré leur projet d’écriture et de réalisation, qui débute en 1946. Ce film raconte l’histoire d’un Roi tyrannique qui tombe amoureux de la peinture d’une bergère qui peut s’animer.

Ce film aborde une histoire d’amour : celle d’un amour impossible entre une bergère et un ramoneur, qui cherche à fuir les pressions induites par la société pour s’aimer librement. Le Roi et l’Oiseau est une ode à la liberté, pour cela il utilise le symbole de l’oiseau qui va aider les protagonistes à aller à l’encontre du pouvoir mis en place par le Roi et sa police. Le film produit une critique de ce pouvoir, des traditions de la hiérarchie, ainsi les cinéastes font une forte critique des différences des classes, le travail aliénant, l’esclavagisme, mais aussi du culte de la personnalité que nous retrouvons encore de nos jours. Ce film pointe également du doigts les problèmes établis par une société comprenant de nombreuses failles, notamment par le biais des directives du Roi envers son royaume. Effectivement, le Roi utilise de nombreux stratagèmes allant à l’encontre du moral pour retrouver sa bienaimée qui cherche à le fuir, pour cela il utilise de nombreux systèmes, notamment de surveillance, que l’on retrouve sous de nombreux aspects tout au long du film. C’est ce sur quoi nous allons nous appuyer pour cette recherche.

La surveillance n’est sans doute pas le premier thème que l’on remarque dans le film, nous y voyons davantage une critique du pouvoir et de la société, qui renvoie à nos propres sociétés modernes, même si ce film se passe sous une royauté. Mais la surveillance y est pourtant omniprésente, pas de manière conventionnelle et habituelle dans le cinéma dit « de la surveillance », qui sont composé de système de surveillance tel que les caméras, les écrans etc. Mais ce film est précurseur et annonce bel et bien une société de surveillance, comme on le retrouve dans de nombreux écrits tel que ceux de Georges Orwell.

Ce film est un film d’animation, ce qui pousse à pouvoir représenter des moyens de surveillance plus originaux les uns que les autres. Cet univers imaginaire évoque des problèmes capitaux de notre société et du futur de celle-ci même si elle se passe à une époque antérieure.  Prévert et Grimault font ici une satire du pouvoir. La surveillance se veut pour protéger, mais nous remarquons qu’elle va plutôt servir à assouvir tous les désirs de la puissance. Nous allons nous intéresser ici à la critique de la société par le biais de la surveillance, et de l’importance du message de ce film qui est encore d’actualité de nos jours.

L’architecture de la surveillance

L’ascenseur, esthétisme de la surveillance

L’histoire se déroule dans un Royaume « imaginaire », Le Royaume de Taticardie. Lorsque l’on aperçoit pour la première ce lieu, il nous parait féérique et a les traits d’un château de conte de fée, il est immense, composée de grande tour, d’un jardin, de fontaines et de couleurs. Nous découvrons ce château en même temps que le personnage du Roi Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize, dit comme mauvais roi d’après le personnage de l’oiseau qui nous conte son histoire, dite « véridique ». Le château apparait alors dans son intérieur, nous y trouvons de grandes alcôves, des statues gigantesque ou minuscules à l’effigie du roi. La vision « idéaliste » du royaume bascule totalement lorsque l’on va avoir accès à cet espace de plus prêt. Par un système judicieux, nous allons parcourir de bas en haut le Royaume, grâce à l’intermédiaire d’un ascenseur qui ressemble à une fusée. Cet ascenseur ne peut être qu’utiliser par le Roi et son chien (avec quelqu’un pour le diriger).  L’ascenseur traverse à la verticale chaque étage de cet immense château, composé tout en hauteur, il nous fait découvrir ses nombreuses architectures de cultures diverses.

Nous remarquons grâce à cet ascenseur le motif du cercle, du hublot qui va être présent tout au long du film et cela dès le début, quand le Roi tire sur une cible ronde afin de toucher l’image d’un oiseau. Ce motif du cercle évoque l’œil, la vision, le plan subjectif et donc l’observation, ici des actions humaines.  D’ailleurs, seul l’oiseau peut reproduire ce que cet ascenseur fait, c’est-à-dire pénétrer dans le royaume et en voir tous ces étages d’un point de vue omniscient. Lorsque le roi empreinte cet objet, l’oiseau va venir s’en moquer et le déranger, ce n’est qu’à ce moment que le roi regardera par la fenêtre, mais sa vision sera occultée à cause de la montée trop rapide pour qu’il ne remarque pas l’animal, la gravité fait tomber sa couronne sur ces yeux (montre un pouvoir trop lourd pour lui).  L’oiseau reproduit cela à plusieurs reprises dans le film, il vient toquer à la fenêtre du roi pour se moquer de lui.  Il peut intervenir à n’importe quel moment pour l’observer et rire de lui, de ses comportements.

Cette architecture est composée d’un premier pallier et d’un second où s’y trouve une prison, l’ascenseur y passe au centre, elle a une vision sur l’ensemble de cet espace carcéral et de ses cellules. Effectivement, le Roi n’y porte guère attention lorsqu’il monte les étages, pourtant tout est conçu dans cet endroit pour pouvoir observer de tous ces côtés : il y a nombreux hublots en haut, en bas, à gauche, à droite etc… D’ailleurs nous avons une vision « subjective », comme si nous étions nous même le hublot, à surveiller le roi assis sur son fauteuil.

Ce système d’ascenseur évoque le panoptique de Bentham, cette machine va avoir un point de vue omniscient sur le royaume. Michel Foucault, dans son ouvrage Surveiller et punir s’appuie sur cette construction qui permet de voir tout ce qui se passe autour d’une tour. Effectivement, le panoptique de Jeremy Bentham est un bâtiment circulaire et est construit sur six étages, composé de cellules ouvertes sur une cour intérieur, comme nous le voyons la prison du film lui-même. L’ascenseur est finalement la tour centrale du panoptique, là où se trouve celui qui surveille, dans ce film elle monte et descend et surveille l’entièreté du haut royaume et non que la prison. Nous pouvons alors parler de la « société de surveillance » dont Foucault parle. Bentham dit de ce système « Dans le panoptique, l’œil du maitre est partout ». L’idée de cette surveillance et de voir sans être vu, c’est de régner en regardant et non en se montrant, non pas comme le roi qui est trop mégalomane pour cela comme nous le verrons plus tard, mais plus comme les gendarmes qui vont tenter de se camoufler pour mieux régner. Le panoptique est tout d’abord une prison, mais il va devenir un réel système d’architecture, d’organisation sociale et politique qui correspondent à nos sociétés modernistes.

Le Royaume en système de Castes

Nous remarquons que ce Royaume est structuré de façon pyramidale, tout en verticalité et en hauteur, évoquant le penchant pour l’Art Décor pour les choses en forme de pyramide. Cette pyramide va représenter un système de caste, plus tard dans le film nous verrons l’existence d’un « bas peuple », qui se situe dans les sous-sols du royaume. Dans ce peuple il y a des personnes différentes, de tout âge et même un aveugle contrairement au monde du roi où tout le monde est similaire et pense mieux voir que quiconque. Ces personnes ne connaissent pas le soleil, ni le « monde vrai » et les oiseaux. Ce sont des personnages enfermés, dans l’obscurité permanente. Ils sont coupés de la vue sur le monde extérieur.
En bas, les ouvriers travaillent, ils manipulent les machines nuit et jour afin de faire fonctionner la machinerie de la ville haute, ainsi assurer le bonheur de la ville haute, du roi et du peuple bourgeois.  L’oiseau et le ramoneur sont « fichés », ils ont des cartes d’identités avec leurs empreintes digitales dessus, avec écrit dessus « forcé aux travaux volontaires ». Nous découvrons que dans cette ville basse il y a des camps de travail forcés. Ces deux strates de ville montrent la lutte des classes, la séparation des pauvres et des riches, avec une critique de l’industrialisation[1], on y voit des quantités énormes de statue du roi, montrant l’absurdité du système. L’oiseau et le ramoneur vont se rebeller en peignant mal les yeux du roi sur des portraits et vont lancer une révolution dans les rues de la ville, accompagné des fauves et du peuple qui contestent alors que le mariage du roi est en préparation. 


[1] La façon dont la ville basse est mise en scène dans son côté industriel, d’usine, peut faire penser au film Les temps Modernes de Charlie Chaplin (1936).

Ce royaume découpé en deux parties bien distinctes fait référence à Métropolis de Fritz Lang, ainsi une vision futuriste dans un monde de science-fiction, qui ressemble pourtant étrangement au notre. Cette forme de ville en hauteur est devenue un archétype, elle représente deux mondes qui s’opposent, celui des bourgeois et celui des pauvres, plus l’on monte dans les étages plus nous avons accès au pouvoir (là où se situe la chambre du roi, au 296ème étage, le dernier). Lorsque l’on descend ces étages, on pénètre dans le monde de ceux qui sont asservi, des minorités (handicapé), de la servitude. C’est grâce à la ville basse que toute la machinerie du haut royaume fonctionne, on y voit des ouvriers qui usent de machine pour alimenter le monde d’au-dessus. Ce peuple est plus bas que terre, il n’a même pas accès à la lueur du jour[1], ce qui peut évoquer par son architecture et ses traits des films expressionnistes muets Allemands, ce mouvement expressionniste allemand se base sur l’expression des sentiments pour créer leurs œuvres, les thèmes centraux de ces œuvres sont les questions d’abus de pouvoir et d’autorité, la manipulation centrale et donc en quelques sortes la surveillance globale par le pouvoir. Par exemple Le Cabinet du Docteur Galigari et ces décors penchés, tordus et déformés, où les lignes de fuites n’existent plus, dans ce monde tout se referme sur lui-même, il n’y a pas de possibilité de fuites. Le décor y est presque effrayant, terne et sombre, avec des formes anguleuses qui brisent les formes de la ville haute. Le cabinet du docteur Caligari s’inspire de tableau de Jakob Steinhardt[2], qui fait également beaucoup penser au travail du décor dans Le Roi et l’Oiseau, notamment lorsque les personnages vont essayer de saboter le mariage.


[1] Cela peut aussi évoquer les camps de concentration avec la réplique « Mais le travail c’est la liberté ».

[2] La ville, Jakob Steinhardt, 1913

Effectivement, lors de la course poursuite nous voyons un autre aspect du royaume, qui n’est plus par le biais de l’ascenseur royal. Ce sont des marches interminables qui y sont montrés, ressemblant à l’architecture que René Magritte propose dans Claire de Lune de 1956, les escaliers sont étroits, avec de toutes petites marches, presque impossible à utiliser. Il y est compliqué d’y monter et d’y descendre, encore une fois ces escaliers sont un outil de dissuasion pour le peuple. Pour aller un peu plus loin, ces escaliers me font également penser à un autre film qui aborde la surveillance, The True Man Show, à la fin du film, le personnage cherche à quitter un « faux » monde, celui d’une téléréalité où il est épié à chaque instant, pour quitter ce monde il va emprunter des escaliers qui ressemble fortement à ceux de René Magritte. Ces escaliers vont se transformer pour devenir de plus en plus tordus, extrêmement pentus. Plus ils descendent plus les escaliers semblent in-empruntable, puisque c’est en bas que se trouve la « ville basse ». Ces escaliers peuvent aussi représenter la « chute » du roi, qui va peu à peu dans le film perdre de son autorité.  Les deux parties de la ville différent en tout point, l’une est coloré dans des tons clairs l’autre est sombre, elles ne sont pas peuplées de la même manière, leurs seuls point communs est la surveillance mise en place. On remarque que la ville « haute » était remplie de trappe pour ceux qui n’obéissait pas au roi ou qui le décevait.

Dans la ville basse, ces pièges prennent une tournure encore plus sournoise car ils sont invisibles, disparaissent puis réapparaissent, tout est en mouvement dans cette ville, tout change et se transforme afin d’attraper le couple. L’espace architecturale se restructure pour devenir un piège. La ville haute ferait référence au travail surréaliste de Chirico[1], qui joue sur le parallélisme, les lignes infinis et droites et les espaces immenses et vides, avec de grandes alcôves, les rondeurs etc. Alors que la ville basse ressemble davantage à l’esthétique expressionniste Allemande, géométriquement carré, triangulaire, composé de pointes et d’angles.  La verticalité de cette ville représente donc l’expression du pouvoir de domination sociale de la Royauté, mais est aussi un reflet du désir excessif de pouvoir du roi, avec toutes les statues à son effigie.


[1] Grimaud est très influencé par le travail de Chirico, on le remarque largement dans ce film qui utilise une architecture très similaire à celle de Chirico, la composition des cadres et des décors y font directement référence, notamment pendant la course poursuite où nous avons l’occasion de découvrir plus largement le Royaume et ses places. Plusieurs peintures de Chirico ressemblent aux décors du Roi et l’oiseau.

Le décor qui s’anime

Ce château est rempli de peinture évoquant de grands mouvements picturaux et de grands peintres, en passant par La Renaissance, le Surréalisme, mais aussi des artistes tel que Picasso, Dali etc. Les références Surréalistes vont être prédominantes dans ce film, ce mouvement cherchait à casser les codes et les normes sociales, les artistes veulent se libérer du contrôle de la raison (mais aussi du contrôle de la société, de ce qui est pré-établi) et vont lutter contre les valeurs reçues en Art. Ces tableaux sont nombreux et vont jouer un rôle primordial dans cette histoire, puisque ce sont eux qui vont provoquer l’intrigue. Ces œuvres d’arts ont un double rôle dans ce monde imaginaire, le premier est celui de tenir compagnie au roi qui se sent très seul. Effectivement, le roi y porte une grande importance, surtout pour l’un de ses tableaux qui se trouve dans la « chambre secrète du roi », une petite bergère est accrochée au mur. Ce qui est étonnant dans ce film, et que nous sommes parfois dans la vision du tableau, comme ici au premier moment où l’on voit la bergère. Il y a un jeu de champ contre champ entre le Roi et le tableau de la bergère. Le regard de la bergère va être en forte plongé puisqu’elle est accrochée plus haute que le roi, cela peut nous faire penser à la vision d’une caméra de surveillance qui regarderais le roi. C’est cela la deuxième fonction de ces tableaux, être des observateurs. Ils voient tout ce qui se déroule dans le Royaume, et pourtant ne peuvent pas en être acteur. Tout comme une caméra de surveillance, ils ont une vision et ne peuvent passer à l’acte, c’est par l’intermédiaire d’une autre personne que l’action peut prendre forme. Les œuvres sont observés mais aussi des observateurs. Ces tableaux, tout comme une caméra de surveillance, seraient peut-être donc là persuader les visiteurs, aussi ces tableaux ne dorment pas tout comme une caméra, au contraire elle s’éveille lors de la nuit. Effectivement, ces décors ne s’animent qu’à la nuit tombée, les œuvres d’art se mettent à vivre. Dans ce film les décors sont vivants et peuvent même sortir de leur « cadre » de décor, ils jouent sur des formes de trompe l’œil, ce sont des figures qui surveillent et s’animent, elles connaissent tout du roi et en sont ses prisonniers.

orsque la bergère et le ramoneur vont tenter de s’enfuir la sculpture dit « Ils n’iront pas loin, ici tout est fermé, d’ailleurs il n’y a pas de porte ». La seule solution de déplacement dans ce lieu est l’ascenseur que seul le roi peut emprunter. Elle essaie de les dissuader tout comme l’intérêt d’utiliser une caméra de surveillance, elle ne peut agir mais va suggérer de ne pas le faire. Ces personnages qui s’animent peuvent faire penser à un autre château, celui de la Bête dans le film La belle et la bête de Cocteau, où toutes les décorations de la maison sont animées, vivantes. Notamment la séquence où Belle arrive pour la première fois au château, toutes les statues vont l’observer du coin de l’œil. Finalement, les regards et les yeux dans ce film va orienter les conduites de chacun, il va les modifier voire les corriger, comme le regard du Roi par exemple.

Ce sont d’ailleurs les choses qui ne peuvent parler qui prennent la parole en premier dans ce film, comme l’oiseau mais aussi des hauts parleurs invisibles de l’ascenseur, des objets qui décorent les pièces du château. Ceux qui sont emprisonnés ont la parole, et le Roi lui ne l’a pas, ainsi que ces gendarmes de compagnie. C’est la peinture du Roi qui prendra en premier la parole pour faire sa déclaration à la bergère, il remplacera même le roi. Les figures qui étaient emprisonnés vont prendre le pouvoir dans ce film, le « faux » Roi va être encore pire que le premier, dictateur. La bergère et le ramoneur quant à eux vont chercher à fuir le pouvoir, ce qui va provoquer une course poursuite dans tout le royaume.

Dans ce film nous regardons à travers des hublots, des tableaux, des sculptures, des serrures de porte. Le décor ou plutôt le royaume est un personnage lui-même qui observe tout ce qui se passe dans son intérieur. Plus tard, cette tendance du décor qui surveille va s’inverser à l’extérieur du royaume, ce sont les êtres humains qui vont essayer de se fondre dans le décor afin de surveiller les protagonistes dans la ville basse. Ce qui m’amène à parler des « personnages de la surveillance » soit des figures d’autorité et de la servitude.

LES figures de la surveillance

Au service du pouvoir

Le personnage emblématique de la surveillance est ceux qui font l’autorité, ceux qui font appliquer la loi, c’est-à-dire la police, la gendarmerie et plus encore les institutions comme le FBI ou les agents secrets (que l’on retrouve dans de nombreux films sur la surveillance). Cette figure d’autorité se retrouve également dans ce film par le biais des gendarmes qui obéissent au Roi sans jamais le contredire. Le roi se sert de ces figures de l’ombre pour avoir le monopole du pouvoir royal, ils sont davantage des personnages qui servent à surveiller plus qu’à protéger. Ils vont être un dispositif de surveillance à part entière.

Ici, les policiers sont tous habiller de la même manière, vêtu de noir, un chapeau melon et une cape, pouvant faire penser aux Gendarmes Hirondelles qui se déplaçait en vélo dans Paris dans les années 1900. Ces policiers eux ne se déplacent qu’à travers des moyens de locomotions (ailes, parapluie, hélicoptère, moto nautique…) Ces gendarmes sont des clones, ils ont tous la même tête et agissent tous de la même manière, ils dorment ensemble dans un même dortoir.  Ces hommes peuvent encore une fois évoquer les personnages de Magritte, qui montre une certaine banalité de la vie par leur costume et leur chapeau, ils sont la représentation de vers ce que le Roi tend, une monotonie et une surveillance généralisée. Dans la peinture Golconde de 1956, ces hommes tombent du ciel, tout comme ceux du film qui vont voler grâce à leurs capes afin de mieux voir les protagonistes qui sont en fuite. Effectivement, ces personnages vont tenter d’imiter l’oiseau afin de mieux contrôler le peuple. L’oiseau est un symbole de liberté dans le film mais aussi de toute puissance, il peut voir tout ce qui se déroule et aider la bergère et le ramoneur dans leur course poursuite. L’oiseau est un animal qui survole, qui a une vue aiguisée, qui perçoit tout. La verticalité du pouvoir royal n’a donc aucun effet sur lui. Les policiers tentent de lui ressembler avec leurs ailes qui ressemble plus a des chauvesouris, Ils ne peuvent avoir son pouvoir de surveillance, ils vont donc tenter de l’imiter avec ces capes.

Pour réussir à trouver les personnages, les policiers vont regorger d’idées plus au moins grotesques afin de leur mettre la main dessus. La surveillance prend un degré très élevé lorsque l’un d’entre eux devient lui-même un mur, il se camoufle afin de pouvoir les trouver et les suivre à la trace sans être remarqué, tel une caméra de surveillance invisible, les policiers vont surveiller les personnages afin de les attraper.  Lorsqu’ils se cachent on ne voit que leurs yeux, seul leur vision est importante. Ce sont des trompes l’œil, ils se fondent dans le décor pour mieux y disparaitre, être invisible pour mieux observer et capturer.

Ces personnages vont user de gadgets afin de les capturer. Lorsque les deux amants s’enfuient, on entend le bruit d’un objet volant, qui résonne comme un drone.  Mais cela se passe en 1980 et les drones n’existaient pas, mais ce qui va arriver dans le cadre y ressemble fortement : des policiers posés sur une sorte de dirigeable (souvent utilisée par l’armée en temps de guerre pour « la reconnaissance, le renseignement ou le bombardement tactique ») afin de retrouver les échappés. On l’aperçoit pour la première fois du point de vue des échappés, cet engin semble minuscule et ressemble presque à une mouche, mais un plan rapproché va nous montrer son mécanisme plus précisément. Il est composé d’un ballon, de deux hélices, d’une plateforme et de filet, avec quatre agents de police sont positionnés dessus, l’un navigue et les autres observent, cherchent, surveillent ce qui se trouve en bas. L’un d’entre eux possède une longue vue, et nous allons avoir accès à cette vue grâce à un plan subjectif de cet outil de surveillance qui existe depuis des siècles pour mieux voir au loin et repérer un danger. Ce plan se construit comme pour les hublots de l’ascenseur, un cercle apparait à l’écran mais cette fois ci avec un viseur, à l’intérieur de celui-ci se trouve le ramoneur et la bergère. Lorsqu’ils ont trouvé ce qu’il cherchait, les quatre petits policiers sautent de leur engin et ouvrent un parapluie afin de planer dans les airs, un filet dans les mains pour attraper les échappés. Encore une fois, ces mécanismes de surveillance m’ont évoqué le tableau L’assassin menacé de Magritte. Dans ce tableau, deux hommes vêtus de la même manière que les policiers sont cachés derrière des murs afin d’attraper un assassin, dans leurs mains se trouve un filet et une matraque. Nous ne pouvons savoir si le travail de Prévert et Grimault s’appuie réellement sur les œuvres de Magritte, mais nous y trouvons certaines similitudes intéressantes pour ce sujet, même si Magritte ne travaillait pas spécialement sur le thème de la surveillance, on y retrouve cette idée de l’homme ancré dans une société ternie.

Aussi, les autorités vont utiliser des haut-parleurs à plusieurs reprises dans le film, en premier lieu avec l’ascenseur mais vont retentir à d’autres moments pour annoncer la rançon prévue pour celui qui retrouvera la bergère et le ramoneur. Les haut-parleurs de la ville annonce qu’il y a une forte récompense pour ceux qui retrouveront la bergère et le ramoneur. Cette voix va résonner à plusieurs reprises dans toute la ville pour annoncer le déroulement de où se trouve le berger et la bergère. Derrière cette voix se trouve un officier, cagoulé, où seuls ses yeux dépassent. Nous voyons des plans de toutes la ville, vide de tout être sauf des policiers, ainsi que le roi accompagné d’une longue vue. Certains personnages du film vont alors chercher à les capturer pour acquérir de l’argent. Dans un monde comme celui du film, il est difficile d’échapper à l’attention de ceux qui surveillent, que ce soit des figures de l’autorité ou des personnes du peuple. Certains vont être des « mouchards » qui vont informer le pouvoir public, c’est-à-dire les policiers. Le royaume est composé tout en hauteur et on le voit à de nombreuses reprises en contre plongé montrant son immensité et son pouvoir sur le « bas peuple ». Cela peut également évoquer le concept de sousveillance (=surveillance venant d’en-dessous) à l’instar d’une caméra de surveillance qui est en plongé, cette surveillance-ci est plus discrète. Car même dans le bas peuple se trouve de nombreuses machineries de la surveillance, camouflé, et même ceux qui le compose peuvent être des personnages de la surveillance. Les personnages qui entourent le Roi vont être ces serviteurs, cela peut évoquer cette idée de La servitude Volontaire, qui est un « Esclavage librement consenti, du moins en apparence, état d’un être humain ou d’une collectivité se soumettant à un pouvoir plus ou moins tyrannique par cupidité, ignorance, désir d’honneurs, etc. »[1] mais dans ce film cette servitude est aussi forcée, par peur du châtiment du roi. Mais la figure qui reste la plus importante au niveau de surveillance et de cette servitude est celle des policiers, qui vont servir le Roi, céder à tous ces comportements et vont poursuivre la bergère et le ramoneur alors qu’ils n’ont rien fait de mal (du moins pour la société, ils n’ont commis aucun crime à part aller à l’encontre du désir du roi).


[1] Texte : La servitude volontaire de Etienne de la Boétie.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire

La représentation du pouvoir 

Dans Le Roi et l’oiseau il y a une grande critique de la société, de la royauté mais surtout du pouvoir mis en place. Le personnage du Roi va être le symbole de ce pouvoir et va être tourner en ridicule à maintes reprises dans le film. Par exemple, lorsque le personnage du roi se fait peindre, le peintre ne lui peint ses yeux qu’en dernier, comme si il était coupé d’une forme de vision, il ne peut pas voir le monde tel qu’il est autour de lui car il est trop égocentré. Le portrait du Roi[1] symbolise son pouvoir, lorsque le peintre peint les yeux, il va tout d’abord grandement hésiter, puis va finalement le représenter comme il est dans la réalité, c’est à dire avec les yeux qui louchent.  Ce trait physique peut alors symboliser l’égocentrisme du personnage et sa mégalomane, ainsi le fait qu’il ne peut que se regarder lui-même. Dans ce film il y a une critique du culte de la personnalité. Ce moment de portrait montre que le roi ne se perçoit pas comme il est réellement, du moins il se « voile la face », il brouille sa propre vision afin de persuader qu’il est tout puissant et qu’il est le meilleur. Mais c’est un Roi tyrannique, égocentrique dans un monde dystopique et totalitariste.

Le roi est stupide, il tombe, dort avec sa couronne, il permet aux amoureux de s’enfuir en brisant un vase d’eau sur le feu de la cheminée. Le roi semble plus humanisé lorsqu’il est dans sa chambre, plus doux, il écoute de la musique (avec des paroles à propos d’un roi) et apprécie les peintures qu’il y a sur tous les murs, il va même corriger son portrait en lui dessinant des yeux « normaux », ce qui lui change complétement les traits de son visage. L’oiseau va se moquer de lui à travers la fenêtre, ce qui va le mettre dans une colère folle. Le roi se regarde dans un miroir et casse tout ce qui a autour de lui, dont son reflet. Nous comprenons que ce roi déteste son image. Ce personnage complexé par son apparence peut alors nous évoquer un roi ressemblant à Ubu Roi qui usent à outrance de la trappe dès qu’on le contrarie ou qu’ils sont en désaccord avec l’autorité. C’est d’ailleurs ce portrait qui va prendre le contrôle du Royaume une fois la nuit tombée. Ce « nouveau » roi va être encore pire que le premier, plus tyrannique, avec les yeux « normaux » il ne semble plus idiot mais mauvais et sans pitié. C’est ce double du roi qui va assommer le Roi, le premier mot que le « vrai » roi dira est « Police » à plusieurs reprises, alors que le « faux » roi avait déjà fait sa déclaration à la bergère. Lorsqu’il se fait agresser par son portrait, il appelle à l’aide les policiers d’un élément du décor, un échiquier qui envoie une alarme dans tout le royaume. Ce damier est composé de plusieurs figures, l’une d’entre elle ouvre des trappes pour enfermer les gens, une tête de mort en guise de pions et celle de la tête d’un policier. C’est le portrait du Roi qui va lancer la course poursuite contre le Ramoneur et la Bergère, et cela en seulement quelques minutes. D’ailleurs, personne ne remarquera que ce n’est plus le « vrai » Roi, et vont lui obéir sans se poser de question sur son identité, sur ces yeux. Ce double va observer les autres personnages qui s’animent dans le château, ce personnage arrive à utiliser les outils de la surveillance qui lui sont mis à disposition. Même si il reste un Roi préoccupé par son image avant tout, par exemple, lorsque ces deux proies vont s’enfuir, elles vont réapparaitre sous ses yeux mais il ne les verra car il est trop occupé à admirer une statue à son effigie, cette statue est construite par des oiseaux afin qu’ils ne remarquent pas la bergère et le ramoneur. 

            On remarque alors la vanité de ce roi et des progrès technologiques qui vont lui servir à créer un univers totalitaire, où les pauvres sont dans des camps de concentration et tout le royaume est surveiller sur leurs actes, il n’y a plus liberté. Les armes de destruction vont prendre le dessus comme nous le voyons avec la figure du robot qui va détruite toute la ville. Le Robot serait alors une métaphore du pouvoir mis en place et des problèmes qu’il engendre dans une société tel que celle dépeinte dans le film.


[1] Référence au tableau de Louis XIV par Rigaud, Louis XIV attache une importance capitale à l’image du royaume (tout comme le Roi de Taticardie).

Le Robot, un pouvoir en échec.

Ce personnage est certes un personnage imbu de lui-même, alors que le peuple de la ville basse va tenter de s’entre aider afin de nuire au pouvoir mis en place, de sauver les protagonistes enfermés du film. Le Roi va utiliser plusieurs outils afin de pouvoir capturer sa bien aimé et faire enfermer son ennemi, l’oiseau et son compagnon le ramoneur. Le Roi va utiliser un objet technologique conséquent afin d’atteindre son but (retrouver la bergère), il envoie un robot à leur recherche, dirigé par un humain à l’intérieur et le roi qui se trouve dessus. Ce Royaume est dans une époque indéterminée, les objets technologiques (ascenseurs, moyens de locomotions etc) vont brouiller les pistes, même si cela ressemble fortement à la France du XVIème siècle, ce robot va représenter la « modernité » de cet empire. Cette énorme machinerie qu’est le robot montre la répression, le pouvoir du tyran. Il va être un outil du Roi, grâce à sa composition physique, le Robot peut mieux voir, il possède un seul œil (cyclope) qui s’éclaire lorsqu’il veut voir au mieux celui qu’il capture.

Ce qui est le plus inquiétant est que derrière toutes ces machines il y a toujours un humain derrière, même le robot est dirigé par un être humain autre que le roi. C’est l’utilisation que nous faisons de la technologique qui la rend mauvaise, alors qu’elle devrait aider à sécuriser elle est utilisée pour contrôler. Ce robot peut être ainsi être une critique des nouvelles technologies et leur impact sur notre monde lorsqu’elles sont utilisés au mauvais escient, sur le fait qu’on ne peut plus vivre librement dans une société de la surveillance. Ce robot va être une allégorie de l’échec d’une société, tous les objets « électroniques » sont tournés en dérision ou alors montré comme négatif, insuffisant. Le robot quant à lui ne va pas être tourné au ridicule, au contraire, il va être la représentation du basculement du pouvoir. Il va écraser le pouvoir mis en place par le roi grâce à l’oiseau qui va en prendre les commandes.

L’automate va finalement donner une note positive à ce film qui semble assez pessimiste sur la société et son devenir, il devient le symbole de la liberté alors qu’il est assis comme Le penseur de Rodin, il est face à un profond dilemme, à une crise existentielle. Il écrase la cage d’un petit oiseau emprisonné depuis le début du film, ce n’est plus l’oiseau qui le commande mais bel et bien son propre être (si l’on peut dire cela d’un robot). Il n’est plus dans la destruction, il va désormais servir le peuple qui va pouvoir enfin s’enfuir de cette dictature (nous voyons les traces de leurs pas dans le sable à la fin du film). Le robot passe du côté des libérateurs et non plus dans celui des tyrans, il n’est plus une représentation du pouvoir du roi mais de celui du peuple.

 

Pour conclure :

Par les moyens de l’animation Prévert et Grimault ont pu concevoir un monde totalement imaginaire qui se base sur des principes du monde réel.  Nous remarquons une étrange ressemblance avec le monde dans lequel nous vivions et nous vivons encore aujourd’hui. Une société dans laquelle la surveillance des masses prend le pas sur les libertés, où la technologie permet de contrôler plutôt que de sécuriser. Les décors ainsi que les personnages vont permettre aux réalisateurs de concevoir une mini-société qui décrit une surveillance globale de notre monde.

Laisser un commentaire